De la philosophie des Lumières aux ténèbres de l’hyperréalité !
- René Bouchard
- 27 oct. 2020
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 avr. 2024
Avez-vous l’impression que le monde semble avoir perdu le nord, que l’on ne réussit plus à discuter sereinement de sujets complexes et que le complotisme ou autres phénomènes délirants gagnent du terrain partout en Occident !
Ces observations ou états d’esprit du moment correspondent à cette nouvelle normalité qui semble vouloir s’imposer en Occident : bienvenue dans l’aboutissement logique de ce que l’on pourrait nommer «l’Ère de l’idiotie collective» ou mieux, de l’hyperréalité augmentée !

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Depuis les débuts de la pandémie, je constate qu'un malaise ne cesse de croître entre l'État et certains groupes d'individus, que des relations amico-familiales se détériorent au profit de clivages idéologiques inconciliables et qu'en plus de la déprime saisonnière qui s'installe, une forme de scepticisme généralisé pend forme. J’ai tenté de comprendre les aléas de cette infortune.
Au départ, je croyais que les infos circulant sur les réseaux sociaux pouvaient en être la cause mais, grâce à l’écoute d’une vidéo produite par Guillaume D., un auteur titulaire d'un doctorat en psychologie, j’ai bifurqué sur une autre piste de réflexion : la philosophie. En effet, ce filon opportun m'a poussé à m'intéresser aux grands courants de pensée qui ont façonné l'histoire ainsi qu'à d'autres sources d'information qui parachèvent le contenu de cette publication.
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Il fut un temps où si l’on voulait nommer une chose, admettons une chaise, on utilisait le mot «chaise». Celle-ci avait quatre pattes, un plateau pour s’y assoir et un dossier. S’il y avait plusieurs types de chaises, de couleurs ou de styles, la plupart des gens admettaient qu’il s’agissait - en réalité - d’une chaise.
Il en va ainsi de concepts théoriques, des lois métaphysiques ou arguments scientifiques, les philosophes de la modernité ont développé des mécanismes pour que l’on soit en mesure de décrire, donc nommer les idées, les éléments de la nature et les choses par ce concept reconnu universellement : la réalité objective.
Malencontreusement, les avancées scientifiques qui ont permis à l’humanité d’évoluer et se comprendre pour assurer son développement se désagrègent peu à peu au profit d’une idéologie quasi-religieuse qui fait fi de la hiérarchie du savoir, de la rigueur scientifique et qui met l’emphase sur l’individualité, le narcissisme et la création de vérités multiples, fait alternatifs ou mensongers.

Quelques segments de l'histoire de la pensée
La philosophie moderne ou «modernisme» (1492-1789) englobe les penseurs ayant vécu de la Renaissance jusqu'au siècle des Lumières. Elle donnera naissance à de grands courants philosophiques tels que le rationalisme, l’empirisme, l’idéalisme, le positivisme, le marxisme, l’existentialisme et bien d'autres. De Machiavel à Kant, en passant par Descartes, Spinoza, Locke, Leibniz, Voltaire, Rousseau, etc.
L’une des caractéristiques de ce courant de pensée, consiste au rejet de la foi et de la croyance religieuse comme critère de vérité. Les penseurs modernes ne considèrent plus l'univers comme un monde rempli de mystères et n'acceptent que les explications qui sont rationnelles, donc scientifiquement démontrées. Le monde n’est plus une structure sacrée, mais une réalité intelligible dont on peut découvrir les lois par une observation rigoureuse et méthodique. Pour cela, il suffit de se donner la peine de réfléchir rationnellement, de bien conduire sa raison pour trouver quelque vérité, comme l’aurait dit Descartes.
En d’autres termes, pour décrire adéquatement une chose, un fait ou une idée, il faut user de concepts rigoureux dans le but d’établir une forme de «communication formalisée», réutilisable par les autres scientifiques pour réaliser des expériences, qu’importe leurs disciplines. Idéalement, cette description serait interprétée par des spécialistes de contenus (vulgarisateurs scientifiques) pour les intégrer aux dictionnaires ou autres ouvrages encyclopédiques. La terre est ronde et tourne autour du soleil parce que cela a été «démontré scientifiquement» et «décrit adéquatement». Point.
Révolution et Postmodernisme
Au début des années 60, en réaction de l’échec du modernisme à tenir ses promesses d’universalisme humanitaire, le mouvement postmoderniste est apparu progressivement. Parce que trop rigide pour le renouvellement des idées et fortement hiérarchisé, les intellectuels de l’époque ont cherché de nouvelles pistes de réflexion. Le passage des sociétés à l’âge des technosciences et des mass média, de même que l’avènement d’une économie postindustrielle, serait à la base de cette mutation de manière d’être et de penser.
Ces bouleversements font suite aux travaux «des grands penseurs du soupçon» de la fin du XIXe siècle et du début du 20e siècle tels que Nietzsche, Marx, Freud, puis Heidegger, comme le post-structuralisme, la déconstruction et le multiculturalisme. Cette ère de transition que certains qualifient de période de confusion, se caractérise au quotidien par la non-uniformité, le pluralisme et l’éclectisme.
Nietzsche a tenté de lever le voile sur les illusions du christianisme, d’annoncer la mort de Dieu et de prédire l’arrivée du Surhomme. Le soupçon de Nietzsche concerne les croyances de l’homme.
Marx, de son côté, a essayé de mettre le soupçon sur le fonctionnement de la société, en dénonçant la domination bourgeoise sur la société, aux dépens des classes exploitées et travailleuses. Le soupçon de Marx est social.
Freud, lui, a détruit "le sujet" tel qu’on l’entendait chez Kant. L’homme n’est plus transparent pour lui-même, puisque c’est l’inconscient qui mène le navire de la conscience. Le soupçon de Freud porte sur la conscience et sa place au sein du sujet.
C’est également la fin des grandes vérités et l’émergence d’un nouveau type d’individualité à travers les événements historiques (la disparition de l’URSS, par exemple) que la dérive des produits de la culture moderne a profondément changé notre façon de voir et de comprendre le monde qui nous entoure.

Elle a aussi mis de l’avant une philosophie de vie qui se fonde davantage sur la proximité et le quotidien. On assiste aujourd’hui à un scepticisme grandissant à l’égard du statut d’expert, de l’autorité politique, des grands discours idéologiques et leurs promesses utopiques.
[- Note RB - On remarque à quel point les avis des scientifiques et politiciens sont désormais contestés, que n'importe qui peut prétendre être le Top-pro de n'importe quelle discipline ! ]
Devenu ainsi sceptique à l’endroit des discours d’autorité, l’homme postmoderne affiche maintenant un nouveau type d’individualisme et décide lui-même de ce qui est bon pour lui, se souciant moins de ce que les experts ont à dire sur le sujet. [ - Fuck l’avis des experts, c’est moi qui décide ce qui est OK ou non ! ]
On voit donc aussi apparaître dans la culture postmoderne un processus de démocratisation des critères de vérité. La vérité absolue de l’ère moderne, cède sa place aux vérités, toutes plus diverses et "vraies" les unes que les autres. [ - Ma vérité est plus vraie que la tienne, même si dans le fond, je viens tout juste de l’inventer ]

Si l’homme postmoderne ne croit plus aux grandes religions politiques, idéologiques, à quoi croit-il, s’il croit encore ? À des "petites" vérités qu’il choisit plutôt qu’aux grandes qu’on lui avait imposées. C’est ainsi qu’il devient végétarien, culturiste ou ...adepte d’une théorie «du complot» et donne temporairement sens à sa vie. On assiste à l’avènement d’un "hypermarché des styles de vie !
[ - Multiplication de petits groupes sociaux sur Facebook, regroupements de type Q-Anon avec ses milliers de supporteurs-adeptes et de chaînes Youtube administrées par des influenceurs sans scrupules et hyper opportunistes $$$ ]
La dictature du sujet

Dans la postmodernité, le sujet se fait donc l’inventeur de ses propres objets, objets qui ne durent que le temps de la pulsion et qui s’évanouissent par la suite. C’est ainsi que le postmodernisme réussit à conjurer le nihilisme.
[ - Création de réalités subjectives qui se présentent un peu comme par magie, improvisées, immédiates et sans fondements. Trump et les concepteurs de théories du complot en sont passé les maîtres absolus. ]
Or, le temps de l’humanisme et des grandes questions existentielles étant révolu, s’installe alors un nouveau mode de vie : "la vie en séquence-flash" centrée sur le présent, au jour le jour, et que caractériseraient l’héphémérité et l’éclectisme des projets, des engagements. Il n’est plus nécessaire de donner un sens profond à sa vie, il suffit de la vivre comme une succession de "présents" : dorénavant, la vie s’épuise dans le présent.
À titre d’exemple, il y avait l’an dernier entre 350 et 500 000 personnes qui ont participé à la marche du climat de MTL parce que très popularisée par la présence de Greta Thunberg (flash). En 2020, à peine 1000 individus se sont déplacés même si la situation climatique s'est empirée.
[ - Pour quelle raison devrais-je m'engager maintenant pour une cause (politique ou écologique) qui n’aura un impact réel qu’à très long terme ? ]
L’hyperréalité
La réalité est l’ensemble des phénomènes considérés comme existant effectivement. Ce concept désigne donc ce qui est physique, concret, par opposition à ce qui est imaginé, rêvé ou fictif tel que l’aurait défini les philosophes modernes. L'hyperréalité - selon Jean Baudrillard, serait la simulation de quelque chose qui n’a jamais réellement existé.
Pour les théoriciens de la philosophie post-moderne, on utilise le terme d’hyperréalité pour caractériser la façon dont la conscience interagit avec la réalité. Tout particulièrement, quand la conscience perd sa capacité à distinguer la réalité de l’imaginaire. Or, il serait envisageable que, grâce au bombardement répétitif de fausses informations, qu’un individu nanti d’un esprit sain finisse par basculer dans un monde chimérique qui aurait pourtant l’apparence et les caractéristiques du réel. [ - La popularité croissante du mouvement des platistes en est un exemple stupéfiant ]
«La terre n’est plus ronde, elle est désormais plate et ne tourne
probablement pas autour de rien»
Or, qu’il s’agisse de Trump, Q-Anon ou la société secrète «Illuminati», ces magouilleurs de haut niveau comprennent les mécanismes de ces subterfuges psychologiques et l’utilisent à outrance. Les adeptes de ces maîtres à penser s’embrouillent les neurones en effectuant des recherches à même les sites conçus pour leur «faire croire» à une forme de réel (hyperréalité) construit à partir de «fake news» sans cesse renouvelées. S’en suit une interaction continue entre les chambres d’écho des utilisateurs confirmant ainsi leur appartenance à un groupe d’individus partageant les mêmes convictions.

Ajoutons à cela les nouvelles technologies de création d’effets visuels, que l’on décrit comme étant «la réalité augmentée», et il serait envisageable de faire apparaître, à l’aide puissants lasers, notre ami Trump, se faire couronner en Roi-Dieu, porté sur un trône cylindrique par les adeptes d'une secte quelconque déambulant sur une «terre plate» entourée de «fées américaines de banlieues» le suppliant d’accepter leur amour éternel.
Prosternés devant la scène et convaincus qu'elle est bel et bien réelle, des milliers de Trumpistes acclameraient le nouvel Homo Déus : Make Trump Great Again forever !
Comme le dirait l’illustre inconnu, plusieurs dégénérés en sont possiblement rendus-là ;-)
René B.
NOTE : Cette publication a notamment été inspirée par un texte de Hélène Richard, UNE PSYCHANALYSE POSTMODERNE ? et plusieurs extraits ont été volontairement copiés de la version originale sans être identifiés.
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