La nouvelle priorité de la classe moyenne ? Survivre aux augmentations de loyer !
- René Bouchard
- 20 juin 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 juil. 2024

D’entrée de jeu, soyons clairs : dans un pays
soumis à de longs hivers froids - l’incapacité de se loger décemment
s’avère être la pire des calamités.
Si l’on lorgne du coté de la Pyramide de Maslow, qui comporte 5 niveaux allant des besoins les plus fondamentaux (physiologiques) aux besoins les plus complexes (psychologiques), le logement joue un rôle crucial au même titre que la nourriture, l'eau, l’air et le sommeil (niveau de base #1)
Pour une personne n’ayant pas accès à un logis décent, la satisfaction des besoins physiologiques de base devient extrêmement difficile, voire impossible. Compte-tenu de cette carence permanente, aucun humain ne peut envisager de combler ses besoins en termes de sécurité (niveau # 2), d’appartenance et amour (niveau # 3) d’estime et d’accomplissement de soi (niveaux # 4 et 5).

Or, s’il s’agit d’un besoin fondamental au même titre que de se nourrir pour survivre comment se fait-il que l’État québécois - qui se situe au 22e rang des économies avancées membres de l’OCDE - n’a pas été en mesure de prévoir cette catastrophe humanitaire !
Depuis 2023, près de 10,000 itinérants essaient de survivre dans les rues ou des tentes, à ce nombre s’ajoute les milliers de mal-logés qui peinent à assurer une vie adéquate à leurs familles et certains, les plus âgés, préfèrent mourir plutôt que de quitter leurs logements lorsqu'ils sont évincés.
Quant à ceux et celles qui sont forcés de déménager, c'est l'horreur. Les augmentations de loyer entre 2020 et 2024, sont passées de 27% à Montréal jusqu'à 50% à Trois-Rivières, selon le denier rapport du RCLALQ. Samedi 6 juillet, le Journal de Montréal rapportait que 1667 ménages sont toujours à la recherche d'un logement. (Le graphique ci-bas a été puisé dans un article du Devoir).
Finalement et suite à la spéculation effrénée des deux dernières années, la plupart des locataires - étant devenus éjectables - développent des troubles anxieux à un point tel, que cette crise est devenue la première cause de détresse mentale au Québec !
Gênant, honteux, dramatique, quasi-scandaleux !
François Legault aura beau crier sur les toits que c’est 100% de la faute des immigrants, c’est faux. Il est le premier responsable de cette crise en refusant d’en reconnaître son importance et y apporter les solutions qui s’imposaient et ce, depuis 2018 en s’installant au pouvoir avec un surplus de 7 milliards dans les coffres de l’état. Elles étaient connues depuis des lunes ces solutions par l’ensemble des intervenants spécialisés en habitation, organismes communautaires et acteurs politiques, mais elles ont massivement été rejetées par les Caquistes.
Selon certaines études, on évalue jusqu’à 5,000 logements qui ne sont pas sortis de terre parce que le financement a été bloqué dans le programme AccèsLogis et à cette perte s’ajoute les 2,500 HLM barricadés depuis des années.
Il aura fallut se rendre à l’extrême limite du tolérable, voire de l’inacceptable par la population puisque dans certaines municipalités les itinérants s’entassent dans des campements improvisés à proximité des écoles pour qu’enfin, ENFIN le gouvernement Caquiste ne saisisse la gravité de la situation.
Un réveil tardif, mais bienvenu !
Il faut toutefois reconnaître qu’au cours des derniers mois, les gouvernements ainsi les municipalités ont saisi l’importance de la crise et donné un léger «coup de barre» pour redresser la situation. Le fédéral à créé de nouveaux fonds dédiés au logement social en investissant des sommes considérables. Québec a adopté le projet de loi n° 22, qui permet de calculer l’indemnité sur la base de la valeur marchande du bien exproprié et non plus de la «valeur au propriétaire», ce qui facilitera grandement l'acquisition de terrains et/ou immeubles.
Quant aux municipalités, l'allègement des règlementations pour accélérer la construction de logements sociaux et coopératives d’habitation est à l’ordre du jour. Nonobstant ces bonnes nouvelles, les mises en chantier prendront un certain temps à démarrer et il faudra compter plusieurs années avant d’aménager dans ces nouveaux logis.
Cette crise va perdurer tant et aussi longtemps qu’un nouveau paradigme ne ce soit constitué au sein de la classe politique québécoise : le logement social n’est plus seulement un problème de «pauvres», mais une réalité qui affecte maintenant les gens de la classe moyenne partout sur l’ensemble du territoire.
Et ailleurs dans le monde, ça se passe comment ?
Dernièrement, j’ai assisté à un colloque organisé par le Réseau québécois des organismes sans but lucratif d’habitation (RQOH) qui portait le titre de Journées d’étude sur le logement social et communautaire. L’objectif étant la recherche de solutions pour que le secteur québécois puisse doubler le parc de logement à but non lucratif rapidement et quelles améliorations faudrait-il apporter à notre modèle pour y parvenir ?

Alors que les besoins sont démesurés, selon Statistique Québec, seulement 3,5% (10% FRAPRU) du parc de logements est à but non lucratif, en Ontario 4,3% tandis que dans plusieurs pays de l’OCDE, ce pourcentage peut atteindre jusqu’à 20% et plus» En Autriche le parc social de Vienne pèse lourd dans cette statistique, la capitale comptant une proportion de 60% de logements sociaux avec une moyenne de 20% dans le pays. (P. 35)
Au Danemark, ce pourcentage est somme toute similaire mais utilise le terme «sans but lucratif» plutôt que social. Ce qui signifie que 1 personne sur 6 habite dans un logement à coût raisonnable.
En France, entre 15% à 18% des résidences principales sont des logements locatifs sociaux, donc, hors du marché spéculatif et à l’abri des augmentations abusives. Cette socialisation stabilise le budget des ménages et freine les pressions inflationnistes comme nous l’avons vécu au Québec au cours de la dernière année.
Notre part de logements sociaux n’étant à peine que de 3,5 % à 10% selon les différentes sources, ce faible pourcentage ne peux expliquer à lui seul la flambée du coût des loyers qui se situait de 10 à 17 % à Montréal et dans certaines villes jusqu’à 50%, mais puisque plus de 90% du parc de logements locatifs au Québec soit à la solde de promoteurs privés avides de profits, y a sûrement contribué.
Afin de préserver une certaine abordabilité, la Ville de Montréal vise à augmenter jusqu’à 20 % cette part de logement social et/ou hors marché, qui serait géré par des coopératives ou des regroupements communautaires pour les protéger de la spéculation immobilière et de la flambée de loyers.
Quelques conclusions à retenir de l'expérience Européenne
Dans un rapport de recherche réalisé pour la fédération des OSBL d’habitation de Montréal, un chapitre en résume quelques-unes. (Leçons de système de financement du logement social résilients, p.52)
L’INTERVENTION DE L’ÉTAT :
L’ACTION COMBINÉE DE DIFFÉRENTS LEVIERS PUBLICS
«Ce qui se dégage d’une analyse des systèmes de financement du logement social en France, au Danemark et en Autriche est une intervention soutenue de l’État qui s’incarne à travers l’emploi de différents leviers. (…)
En conclusion, une attitude particulière de l’État par rapport au secteur du logement social est aussi notable dans ces trois pays. On notera, notamment, l’attitude partenariale qui unit les gouvernements et les organismes d’habitation dans le partage des responsabilités dans le financement du logement social au Danemark
De même, soulignons le principe d’équité qui gouverne l’ensemble du système de financement en Autriche où chacune des parties mises à contribution (les institutions financières, les pouvoirs publics, les LPHA et les locataires) voit sa participation rémunérée de façon juste et équitable
De façon notoire, soulignons aussi l’attitude patiente de l’État dans les trois pays étudiés. En France, au Danemark et en Autriche, les gouvernements façonnent des horizons temporels qui offrent aux organismes d’habitation le temps dont ils ont besoin pour réellement porter leurs fruits et assurer ainsi la pérennité de leur mission.»
Comme il est possible de le constater, le mot « État » est omniprésent dans les textes de cette conclusion. L’État supporte le développement de l’habitation par des politiques novatrices, régule efficacement le marché et assure le soutient financier par différents moyens à très long terme.
De ce coté-ci de l’Atlantique.
L’une des distinctions observables entre ces pays d’Europe et le Canada, c’est assurément le piètre rôle de l’État, qui s’est désengagé de ses responsabilités sociales depuis des décennies.
Depuis que le fédéral, sous la gouverne de Brian Mulroney à cessé de financer le logement social, suivi l’ère Couillard qui a scindé de moitié les crédits accordés au programme AccèsLogis, suivi de Legault qui l’a éliminé pour le remplacer par le Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ). En plus de n’avoir pas encore donné de résultat probant, le financement du PHAQ - contrairement à AccèsLogis - est également offert aux promoteurs privés.
Dans un tel contexte, comment peut-on confirmer l’engagement du gouvernement québécois pour le développement du logement social lorsqu’il faut partager le peu de crédits disponibles avec des consortiums du secteur privé qui disposent d’un accès direct à des capitaux illimités.
Si la stratégie politique a changé au cours des derniers mois et que le financement public est reparti à la hausse, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de programmes temporaires, conçus rapidement pour limiter les dégâts de la crise actuelle et espérer se faire du capital politique.
Sortir de l’improvisation, pérenniser les interventions
Parmi les discussions animées lors des panels de ce colloque portant sur la recherche de solutions, j’ai retenu les propos de Bruno Dion, coordonnateur au développement des affaires d’Action-Habitation. (Avant dernier, sur la droite)

Alors que les panélistes constataient les difficultés liées à la croissance du parc logements sociaux, il proposait sommairement ce qui suit : «c’est que nous devons développer des mécanismes novateurs afin de permettre d’obtenir un « financement continu et pérenne pour répondre aux besoins de la population.»
Financement continu et pérenne, mais comment y arriver ?
Quoi qu’il y ait la Société d’habitation du Québec (SHQ) des Offices municipaux d’habitation, La Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) et la liste pourrait s’allonger, le financement de ces organismes est soumis aux variations des mouvances politiques et des priorités électoralistes. À titre d’exemple et selon la SCHL, pour aspirer à une certaine abordabilité du logement au Québec, il faut construire 860,000 nouveaux logements d'ici 2030.» (*1 Le Devoir) et la CAQ n’en prévoit que 8,000 logements sociaux et abordables sur 5 ans, donc plus ou moins 1,600 mises en chantier par année.
On n’est loin du compte lorsque l’on ne réussit même pas à atteindre le 1% d’un objectif déterminé par des experts. Par contre, le même gouvernement veut s’engager pour un montant pouvant atteindre de 3 à 5 milliards jetés à l'eau pour le fameux «troisième lien» de Québec, jugé par plusieurs commentateurs, de dépense injustifiable, voire inutile. Or, si des budgets avaient été réservés pour répondre aux véritables besoins sociaux en habitation, il aurait été impossible de gaspiller ce fric pour des motifs électoralistes.
Si j’ignore - pour l’instant - comment pourrait se constituer cet organisme ou agence gouvernementale vouée à la gestion rigoureuse des crédits réservés pour les besoins en habitation, il n’en demeure pas moins que la gestion de ce pactole s’apparenterait à une forme de nationalisation soumise à une gouvernance représentative des intérêts de la population qui devrait bénéficier du support de l’État. Ce qui exclut la participation des intervenants du secteur privé pour les prises de décisions.
Et pour la suite...
En attendant que l’État prenne ses responsabilités, le député des Îles-de-la-Madeleine et porte-parole du Parti Québécois en Habitation, Joël Arseneau, vient d’annoncer une série de mesures qui devrait réjouir les défenseurs du droit au logement et les locataires aux prises avec des augmentations abusives du loyer.
Établir un registre des loyers public, universel et obligatoire ; (Prog. 2022)
Restaurer les dispositions antérieures concernant les cessions de bail ;
Abolir la clause F du bail afin de protéger les locataires contre les hausses de loyer arbitraires;
Renforcer les inspections des logements pour garantir le respect des normes de salubrité et de sécurité ;
Lutter contre les sollicitations abusives qui conduisent à des rénovictions;
Mieux informer et sensibiliser les locataires sur leurs droits et les ressources disponibles d’aide au logement ;
Interdire les hôtels clandestins et la location à court terme sur les plateformes partout où les taux d’inoccupation sont en deçà de 3%. (Prog. 2022)
Si le Parti Québécois avait pris le pouvoir en 2022, le programme AccèsLogis n’aurait pas été sous financé mais enrichi de 860 millions par année sur 4 ans, pouvait-on lire dans La Presse. Ce qui signifie que 14,000 logements sociaux auraient pu être construits ou en développement alors que seulement 6,000 l'ont été pendant le règne de la CAQ.
De plus, le parti s’était engagé à mettre sur pieds un registre des loyers public et obligatoire. S'il avait été instauré, comme le souhaite toujours moult organismes tels que Vivre en ville qui a développé une plateforme sur le web, les augmentations abusives de 2023, qui atteignaient des taux entre13 et 40% et de 5,6 à 17% (SCHL) en 2024, auraient été limitées.
Finalement une autre mesure phare du parti en 2022, stipulait que si le taux d’inoccupation est inférieur à 3 %, les hôtels clandestins de type Airbnb et autres locations à court termes seraient interdites.
Or, ce taux est en deçà de 3 % depuis 2023 et le nombre de logements accaparés par Airbnb a augmenté pour s’établir à 31,600 en juin 2024. (RCLALQ) À cet égard, il n'y a pas que le PQ et les organismes de défense des droits des locataires qui veulent bannir les locations à court terme, Josée Legault le souhaite également.
Donc, en résumé :
7,000 logements qui n'ont pas été construits (AccèsLogis)
+
31,600 logements accaparés par Airbnb et autres plateformes
= 38,600 logements de plus sur le marché de la location pour les ménages
et des augmentations de loyer contrôlées par un registre public.
Rien à dire de plus....
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La rénovation des HLM est réclamée d’urgence
Des milliards jetés à l’eau

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