Le « logement » comme projet de société
- René Bouchard
- 8 juil. 2024
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 févr.
Ce titre n’est pas de mon crû, mais celui d’une lettre d’opinion
parue dans Le Devoir en 2022. Elle a été rédigée par
Patrick Préville, Directeur général de la Fédération de
l’habitation coopérative du Québec (FHCQ).
(Note de l'auteur) Le contenu de cette publication n’engage en rien la FHCQ. J’ai librement interprété
la lettre d’opinion de M. Préville et je me suis permis d’y greffer mes idées personnelles.
Ce texte publié en février 2022, se référait à une annonce de la ministre des affaires municipales, Andrée Laforest pour un investissement de 200 millions dédié au logement social et l’auteur dénonçait le manque de vision à long terme du gouvernement Caquiste et a proposé ce qui suit :

«Il est temps de penser le logement autrement et de l’imaginer plutôt comme un projet de société. Un projet qui se présenterait comme une solution pérenne plutôt que comme une mesure isolée ne visant qu’à répondre à des besoins partiels dans laquelle la logique marchande prévaut toujours. (…)
Une politique nationale du logement devrait ainsi prendre en compte les différentes composantes des ménages et s’assurer que le logement réponde à leurs besoins réels et à leur capacité de payer.»
D’abord de quoi parle-t-on en évoquant les mots «projet de société» ? Cette expression désignerait un ensemble de suggestions, de visions et de mesures qu’un État propose pour organiser et orienter la vie collective d'une société. L’objectif visé est de répondre aux besoins et aux aspirations des citoyens dans les domaines tels que l'économie, la justice sociale, l'éducation, la santé, l'environnement, la culture, et bien d’autres. (*1)
Si l'objectif d'un projet de société est de répondre aux besoins des citoyens, la proposition d'échafauder un énoncé politique sur la thématique « logement » s'avère être une excellente idée. Puisqu’il s’agit d’un besoin de première nécessité et que la crise actuelle démontre les failles d’un système en panne d'ingéniosité et d’investissements, il appert qu’un redressement de la stratégie politique s’impose dès maintenant.
Au cours des années qui ont précédé la pandémie, la problématique du logement était surtout associée aux ménages à faible revenu dans les villes fortement urbanisées. Aujourd’hui, l’action de se loger est devenue également un casse-tête pour les gens de la classe moyenne, qu’importe le lieu géographique et/ou la taille de la municipalité.
C’est en partie pour cette raison que les programmes électoraux des partis politiques ne consacraient que peu d’importance à la question du logement. Il était surtout question d’habitation en général, de soutien financier pour avoir accès à des résidences ou de condominiums privés. Mais depuis 2022, la «donne» a changé.
Avec l’augmentation des taux d’intérêt, la difficile accession à la propriété pour les jeunes et les nouvelles approches en urbanisme durable et de lutte aux GES, le rêve d’être propriétaire d’une résidence privée dans une banlieue lointaine s’estompe au profit de se joindre à une collectivité en devenant locataire. Encore faut-il qu’il y ait des logements à louer ?
Le logement : une « priorité » pour les citoyens, et ce depuis longtemps !

En mai dernier, s’est tenu au Centre Lapalme de la rue Lafond, une soirée ayant pour but de présenter les résultats d’une vaste consultation citoyenne menée par l’organisme Décider Rosemont ensemble. Cette tendance est d'ailleurs confirmée dans un sondage Léger/Le Journal qui place l’accès à l’habitation comme priorité des électeurs, tant à Montréal qu’à Québec.
Cette enquête terrain avait pour but de déterminer les cinq priorités des citoyens de l’arrondissement. Si en 2018, la priorité # 1 était celle de pouvoir habiter dans des loyers accessibles financièrement tels que des logements sociaux et coopératives, en 2024, pour la très grande majorité des répondants, c’est encore le logement et le coût des loyers.
J’ignore si d’autres arrondissements de Montréal ont réalisé des enquêtes similaires, ce dont je suis persuadé, c’est que les résultats seraient fort probablement les mêmes. Or si, le «logement» est LA PRIORITÉ depuis tant d’années et pour tant de MÉNAGES partout sur le territoire, le temps serait venu - tel que l’a proposé M. Préville - de l’inclure dans un éventuel «projet de société».

Le «logement» comme projet de société
Comme la plupart des journalistes et spécialistes en habitation le constatent depuis des années, si la priorité des citoyens consiste à se loger décemment et à un coût raisonnable, ce n’est apparemment pas celle de l’État québécois, du moins pour les gagne-petit.
Au Québec, même si la charte des droits et libertés stipule que toute personne a droit à des mesures d’assistance (…) susceptibles d’assurer un niveau de vie décent et que cela inclut le droit au logement, force est de constater que des milliers de ménages n’arrivent pas à se loger convenablement.
En mettant l’emphase sur cet enjeu dans une déclaration politique formelle, les gouvernements seraient tenus de respecter un ensemble de valeurs et d’objectifs souhaités par la population. Cette nouvelle orientation, appuyée par les propositions novatrices, aurait comme effet de valoriser le statut de «locataire» dont l’image est malencontreusement associée à celle de la pauvreté.
Le mot «logement» n’est pas simplement le synonyme d’un local physique avec 4 murs, sa signification première, selon Le Robert, en est une d’action : « Action de se loger ».
Par ailleurs et comme tente de le démontrer le duo Madden et Marcuse dans un ouvrage portant sur le sujet (#2), «le logement n’est jamais seulement un toit.» (…)
«Dans tous les contextes sociaux, il structure les rapports de pouvoir. II peut être utilisé pour préserver l'ordre social ou pour le contester. On ne peut comprendre les modèles résidentiels en vigueur ni les possibilités de changement sans examiner le rôle essentiel du logement dans les luttes sociales et politiques.» (P. 86)

Au Québec, on peut en voir les conséquences où les politiciens cherchent à valoriser leurs interactions pour des objectifs trop souvent électoralistes. Dans un contexte de partage de responsabilités entre paliers gouvernementaux et d’empiètements dans les champs de compétences, force est de constater que le logement ne sert pas qu’à loger des gens, il sert également à mousser des intérêts politiques.
Entre «le politique tactique» et les vertus d’un véritable humanisme
Pour la plupart des gens, habiter dans un logis où l’on se sent bien facilite les rencontres amicales, simplifie l’accès aux ressources des services publics, rend possible une vie sociale riche et positive au sein d'une communauté. Si l'on ajoute à cela un forme de contrôle du coût des loyers, les locataires peuvent disposer de petits budgets pour la culture, la santé et les loisirs donc, un réinvestissement dans l'économie locale. Habiter un logement convenable, c’est l’enracinement des personnes dans un milieu de vie et pour certains, leur principale raison de vivre.
Or, que l’on enchâsse dans un énoncé politique la prédominance «du droit au logement décent», cette insertion convient parfaitement à la réalité québécoise de 2024. Il faudra évidemment greffer cet ajout aux multiples définitions utilisées par les gouvernements. Cette mise à jour doit impérativement comporter un désir fondamental de reconnaissance et/ou de partage avec les Premières nations.
Voici donc un premier abrégé hyper synthétisé et à enrichir mille fois, évidemment :
«La Société québécoise se donne comme mission d’assurer l'accès à un logis convenable et à coût raisonnable, à l’ensemble de la population en y incluant les communautés autochtones.
Elle se doit également d'assurer la protection et la promotion de la langue française, sa richesse culturelle, la solidarité sociale entre les classes citoyennes, la protection de l’environnement et le développement durable.
Ce projet de société inclut évidemment des politiques novatrices pour la transition écologique, l'éducation, la santé tout en valorisant l'inclusion et la diversité.»
Une politique nationale du logement
Lorsque l’on tape ces mots sans un fureteur, il n’y a aucune connexion avec les sites du gouvernement du Québec. Par contre, lorsque l’on remplace le mot «politique» par «stratégie», une profusion de références explose sur les sites web canadiens.

À moins que ce groupe de trois mots n’ait jamais été référencé adéquatement, il n’y aurait pas - du moins rédigé de cette façon, de «politique nationale du logement» au Québec. Voici donc, une autre idée mise de l’avant par M. Préville et qu’il résume comme suit :
«La politique devrait ainsi prendre en compte les différentes composantes des ménages et s’assurer que le logement réponde à leurs besoins réels et à leur capacité de payer.»
Donc, de nouveaux mécanismes d’analyse assortis de solutions adaptées aux ménages. Il poursuit sa pensée en citant l’exemple d’un référendum berlinois ayant pour but de socialiser des milliers de logements appartenant à de grands groupes immobiliers.
«L’objectif : contrer la surenchère immobilière et l’embourgeoisement. (…) À une autre époque, le Québec a eu le courage de nationaliser l’hydroélectricité et de créer Hydro-Québec, un fleuron qui fait l’envie de nombreux pays. Le logement, il me semble, serait une suite logique.» (Patrick Préville)
NOTE IMPORTANTE - Les mots cités précédemment : «politique nationale du logement», apparaissent dans le document Projet national du Parti Québécois publié en 2022, à la page 27 mais en se référant au terme «habitation». Ce jeu de mots se retrouve également sur le site de la FHCQ pour la promotion d'une manifestation et de QS.
En matière d’habitation, le Parti Québécois aspire à :
• doter le Québec d’une politique nationale d’habitation encadrant le droit de se
loger, et misant sur une mixité des types de logement et des approches de soutien
à la stabilité résidentielle;
• mettre en place un registre national des loyers;
• lancer un vaste chantier de construction de logements subventionnés en favorisant
les projets développés par le secteur coopératif et les organisations sans but
lucratif (OSBL) de logement et le public;
• diversifier les types d’accompagnement offerts en logement auprès des personnes
vulnérables, tout en maintenant l’offre de soutien communautaire en logement
social;
• soutenir la mixité sociale dans la construction de nouvelles habitations;
• intégrer les programmes et les financements fédéraux en matière d’habitation
(logement social) et d’itinérance, notamment la Société canadienne d’hypothèques
et de logement (SCHL);
• encadrer la spéculation immobilière.
Nationaliser le logement et/ou démarchandiser l’immobilier
En France comme pour d’autres pays d’Europe, il existe plusieurs modèles de fonctionnement qui pourraient s’apparenter à une forme de nationalisation, notamment une gestion communale par les municipalités. Au Québec, le Réseau québécois des organismes sans but lucratif d’habitation (RQOH) serait indépendant du gouvernement.
Par contre, les logements à prix modique (HLM) destinés aux ménages à faible revenu, appartient au gouvernement du Québec et est géré par les offices d'habitation répartis sur tout le territoire. Le fonctionnement de ce réseau s’apparente effectivement à une forme de nationalisation.
Aux États-unis, «Bernie Sanders, lorsqu’il était maire de Burlington, a soutenu la création de fiducies foncières communautaires, un modèle qui ressemble à la FUS (fiducie d’utilité sociale) et qui a permis de mettre à l’abri de la spéculation des milliers de logements. Pour être plus précis, c’est 20 % à 25 % du parc immobilier locatif de Burlington qui est aujourd’hui considéré comme hors marché.
Si l'on ne perçoit pas de réels avantages à opter pour la nationalisation du logement social déjà bâti ou administré par des offices municipaux, pour les nouveaux projets en développement et certaines bâtisses à rénover, certainement que oui, notamment pour supporter financièrement les villes n'étant pas considérées comme «mandataires» ou qui ne ne disposent pas des outils pour acquérir les immeubles.

Qu’il s’agisse du «logement hors marché», de nationalisation, mutualisation et autres concepts juridiques pour constituer les bases d'une véritable politique du logement, plusieurs consortiums et organismes (PLANCHER / ACHAT / UTILE / etc.) travaillent présentement sur des idées novatrices et il serait inutile de commenter davantage. De l'autre coté de l'Atlantique, pour contrer la flambée immobilière, le député français Jean-Luc Lagleize a déposé un rapport visant à nationaliser le foncier. Nous pourrions nous en inspirer et ce sera le sujet de la prochaine publication.
Une lumière, pour sortir de ce tunnel ?
Puisque cette nouvelle politique tant souhaitée se fera attendre, il y a présentement des groupes de ressources techniques qui besognent, des spécialistes qui développent des projets et un nouveau paradigme social semble se constituer pour combattre l’individualiste exacerbé qui trône actuellement : le retour du collectif ou un certain regain d’intérêt pour l’autre, notamment par les plus jeunes.
«Pour le modèle de l’habitation coopérative, il y a dans ce programme une occasion à saisir. Avec ses valeurs entrepreneuriales et l’intercoopération, le monde coop a ce qu’il faut pour insuffler un vent de renouveau en matière d’habitation. Le projet de société évoqué plus haut, les coopératives l’incarnent au quotidien grâce à leurs milieux de vie basés sur l’entraide, le vivre-ensemble et la démocratie.» (Patrick Préville)
La dernière phrase de cette citation met en évidence certaines valeurs sociales ce qui se sont détériorées au cours des dernières années. Comme l'ont démontré moult propriétaires avides de profits générés par les évictions frauduleuses, la prolifération des locations de type Airbnb illégales et les augmentations abusives des loyers, l'altruisme et l'entraide s'éclipsent au détriment d'une marchandisation effrénée du logement. Heureusement, des citoyens et organismes communautaires cherchent à renverser cette tendance, notamment chez les jeunes gens urbanisés.
L’an dernier j’ai assisté à deux ateliers organisés le Regroupement des organismes du Montréal ethnique pour le logement (ROMEL), présentés par la Fédération de l’habitation coopérative du Québec (FHCQ), dans une librairie sur la rue Saint-Laurent. Il était évidemment question de «propriété collective, convivialité et vivre-ensemble» et ces idéaux semblaient vraiment intéresser les participants-tes.

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En septembre 2023, une grande manifestation contre le projet de loi 31 a été organisée par le RCLALQ. Encore une fois, la présence des jeunes démontre l’intérêt de cette génération pour l’habitation et le logement en particulier.

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En avril 2024, lors du Conseil national et de l’habitation portant sur l’habitation, sur les 500 participants-tes, environ 200 membres avaient moins de trente ans. Ils / elles ont appuyé une quarantaine de propositions visant à améliorer le sort des locataires et des nouveaux propriétaires.

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Il y aurait donc un intérêt marquant pour les milléniaux et plus particulièrement chez les jeunes de la génération Z, communément appelés les « zoomers » pour un nouveau paradigme en habitation. France Dufresne, spécialiste en RH, a rédigé un texte paru dans Le Devoir décrivant le profil de ces personnes nées entre 1997 et 2012. Étonnamment, cette description sommaire semble convenir à la philosophie et aux valeurs du monde coopératif.
«Cette génération se démarque par son fort engagement social, notamment envers la santé physique et mentale, la sécurité économique, l’engagement civique, l’équité sous toutes ses formes et la protection de l’environnement. On peut entre autres percevoir cet engagement par leur désir de travailler pour des organisations dont la mission correspond à leurs valeurs.»
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En terminant, un souhait pour les ménages à faible revenu et autres mal logés ;-(
Le 16 mai 2023, le PDG de Centraide du Grand Montréal, Claude Pinard, publiait une chronique dans La Presse ayant comme titre : Agir ensemble pour le logement. Si son contenu est intéressant et accessible via ce lien, c’est le nombre de personnes et organismes qui l’ont signé qui semble révélateur d’une vision commune.
Et quatorze mois plus tard, soit le 30 juin 2024, la situation se révère être catastrophique pour les locataires. Environ 1,600 ménages n’avaient pas encore signé de bail, près du double de l’an passé.
Or, puisque la situation des mal logés s’aggrave, que Airbnb accapare encore plus de 30,000 logements et que l'État québécois n'a pas encore formulé de stratégie à long terme pour résorber la crise, pourquoi ne pas créer une forme de coalition composée de citoyens, d'organismes communautaires et de l'associer à celle du Groupe des 21.

Cette nouvelle coalition pourrait faire avancer certaines idées novatrices comme celles de Jérôme Glad, cofondateur de La Pépinière, de Virginie Dostie-Toupintout (Villes de proximité) ou de Alexandre Soulières (Jeunesse) tout en s'inspirant des valeurs humanistes et principes coopératifs.
Ce nouveau projet de société mérite de voir le jour, c'est à nous de l'édifier...
René B.
438 501-2840
Perso : https://www.facebook.com/RBMTL
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Quelques liens à consulter ou publications à retrouver sur le web.
(#1) Cette description ou définition de «projet de société» a été inspirée via plusieurs sources.
(#2) Défendre le logement, Nos foyers, leurs profits, David Madden et Peter Marcuse (P. 86)
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Compléments d'information et idées novatrices sur le concept de Projet de société.
Le potentiel coopératif comme solution à la crise du logement Patrick Préville
Bâtir un projet de société qui nous fera rêver Jérôme Glad
Où sont nos grands projets de société? Antonine Yaccarini
Vers un Québec inc. inclusif et durable Brian Myles
La jeunesse comme projet de société Alexandre Soulières
La proximité comme projet de société Virginie Dostie-Toupin

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