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Lorsque « l’autre » n’existe plus…

Dernière mise à jour : 16 nov. 2024

Pour faire suite à la publication précédente qui déplorait le fait que

la population devrait se révolter pour que l’État prenne ses responsabilités

pour contrer la crise du logement, j’ai cherché à comprendre pourquoi

la plupart des gens concernés - soit l’ensemble des locataires du

Québec - ne manifestaient pas dans les rues.



En 2016, on comptait environ 1 362,010 ménages locataires (un ménage peut comporter plusieurs personnes) au Québec avec une proportion de 46,4 % de la population du Grand Montréal. Ce qui représente environ 800,000 ménages dont, selon La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), 110,000 semblent éprouver des besoins en logement.


Or, à l’occasion des manifestations organisées par les organismes qui luttent pour le droit au logement, le nombre de participants devrait se chiffrer en dizaine de milliers de personnes directement concernées par cette problématique, sans oublier ceux celles qui subissent les dommages de la crise mais qui ne sont pas recensés. Lors de la manifestation de juin 2023, organisée par le RCLALQ à Montréal, il n'y aurait eu que - selon la SRC - de 1,500 à 4,000 manifestants.


  • Il faut noter qu'à l'échelle du Québec, selon un rapport du FRAPRU, c'est plus de 170,000 locataires qui éprouvent des problèmes de logement.



Tout en évitant de comparer des pommes à des prunes, un autre fait marquant s’est déroulé au cours des dernières années : la diminution abyssale du nombre de participants lors des manifs pour la lutte aux changements climatiques. D’une foule estimée entre 350,000 et 500,000 personnes en 2019, celle de 2022 à l’occasion du Jour de la terre, n’aura rassemblé, selon les organisateurs dans un article du Devoir que 7,000 personnes.



À l’instar de la crise du logement qui perdure, celle du climat s’intensifie désespérément mais ne se matérialise pas dans un effort collectif pour lutter contre son évolution. Bien au contraire. En plus de la perte de «combattants» pour le climat lors de manifs, l’industrie du tourisme bat son plein, les tarmacs des aéroports débordent, les détaillants de VUS, pick-up et véhicules de sports motorisés fracassent des recors de vente. Selon La Presse, «les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 5 % au Québec en 2021 après la baisse marquée constatée durant la pandémie.»


Il y a certes des avancées comme l’augmentation des ventes de véhicules électriques et la mise en place de mécanismes pour la protection de la biodiversité, mais ça ne suffira pas.


Si ces deux conjonctures ne sont pas comparables, un fait demeure : le désintérêt de la population à manifester son désaccord face à des problématiques collectives, pourrait-elle trouver une explication dans une nouvelle lubie sociale, que certains attribuent à une forme «d’individualité fantasmée», où la présence de l’autre s’efface au profit d’un sur-moi détaché du bien collectif ?


C’est en partie la thèse que défend Vincent Cocquebert, dans sont dernier essai Uniques au monde - de l'invention de soi à la fin de l’autre.



Et si l’autre n’existe plus, nous devenons quoi ?


«Jamais, dans l'histoire de l'humanité, nous n'avons été autant livrés à nous-même. De l'amour à la santé, en passant par la vie professionnelle ou l'alimentation, tout peut être personnalisé. Avec, en ligne de mire, un seul et même projet : exprimer nos singularités.


Nous assistons dès lors à l'avènement d'un être d'un nouveau genre - bourreau et victime - bercé par l'illusion que le monde peut et doit se conformer à ses désirs, et non l'inverse. Ainsi, une nouvelle culture du narcissisme a envahi notre quotidien. Elle prospère sur les ruines d'un projet de société centré sur l'individu et la chimère d'une existence désolidarisée de tout destin commun.»

(Segments textuels du résumé de cet essai qu'il faut lire absolument)


«Une existence désolidarisée de tout destin commun».


Hé bien voilà ce qui semble se préciser dans cette modernité décadente qui n’a plus rien voir à celle des Lumières, où le collectif s’imposait comme le moteur du changement. En effet, ces penseurs mettaient l'accent sur l'importance de la société dans son ensemble plutôt que sur les intérêts individuels. Ils croyaient en la capacité des individus à s'unir pour créer un monde meilleur grâce à la raison, l'éducation et la collaboration. Cette idée de travailler ensemble pour le bien commun a influencé les mouvements politiques et sociaux ultérieurs.


Mais deux siècles et demi plus tard, au Québec, si l’on se fie au peu d’intérêt que les jeunes (35 ans et -) semblent manifester pour la politique avec un score d’environ 50% lors des dernières élections ainsi que les baisses foudroyantes de participants lors des manifestations pour le climat, force est de constater que le replis sur soi s’impose comme un leitmotiv inquiétant pour notre devenir collectif.


L’ère de « l’égocène »


Dès lors, pourquoi allouer du temps pour défendre les intérêts de «l’autre» dans les secteurs de la santé, de l’éducation, du logement ? Pourquoi payer des taxes pour des services que je n’utilise pas et/ou me préoccuper pour des problèmes qui ne concernent pas directement ?


Le narcissisme exacerbé fini malheureusement par s’incarner dans un égoïsme extrême. Les plus fortunés s’acharnent à ne payer aucun impôt même s’ils profitent des infrastructures publiques, d’autres sur-consomment à outrance pour valoriser l’image qu’ils veulent projeter en n’hésitant pas à écraser les autres pour atteindre leurs objectifs et certains vont juste qu’à se marier avec eux-mêmes, vive la «sologamie» !



Cette absence d’intérêt pour l’autre, surtout par l’élite pour les moins nantis, s’incarne également dans les politiques gouvernementales qui se succèdent depuis une vingtaine d’années. Qu’il s’agisse des domaines de la santé, de l’éducation et de l’habitation, l’ensemble des services publics se dégrade au profit du dogme libéral de la pseudo efficacité du secteur privé.


La résultante est d’une simplicité étonnante : un système d’éducation à trois vitesses, le privé pour les riches, le public pour les pauvres et l’enrichi pour la classe moyenne ; deux vitesses pour la santé, le «privé» d’une efficacité extrême pour les plus fortunés ou très bien assurés (ceux qui ne le sont pas, devront s’endetter) et le «public», beaucoup moins performant avec des années d’attente, dans certains cas, pour obtenir les soins requis.


Quant à l’habitation, point besoin de se questionner longtemps pour statuer sur la problématique actuelle : alors que les tours à condos poussent comme des champignons, le parc de logements sociaux et HLM se dégrade et aucun bâtiment ou presque, ne s'est construit depuis l’arrivée de la CAQ au pouvoir. Il aura fallu attendre que 10,000 itinérants se retrouvent dans les rues pour saisir l’ampleur de la crise et possiblement passer à l’action.


Autre temps, autre moeurs


Étonnamment, en 2024, l’on se croirait revenir à l’époque où nos parents se ruinaient pour se faire soigner, que seuls les enfants des familles riches avaient accès à une éducation de qualité supérieure sans oublier qu’en 1967, pour contrer l’une des multiples crises du logement on a dû créer la Société d’Habitation du Québec (SHQ) pour que les familles puissent enfin avoir un toit sur la tête.


Le trio «Charest, Couillard, Legault» aura réussi - en seulement 20 ans - à développer subtilement des réseaux parallèles favorisant le privé dans les domaines de la santé et de l'éducation.


Pour reprendre les commentaires de Benoit Huard, un CPA retraité qui a publié une texte dans la section «Idée» du Devoir titré comme suit : Il est temps de démasquer la CAQ.


« Lorsqu’on regarde l’ensemble de l’oeuvre de la CAQ depuis qu’elle gouverne, on constate (…)

que toutes les politiques mises en avant par ce gouvernement semble dirigée vers une seule chose : le démantèlement systématique du modèle social québécois patiemment construit depuis la Révolution tranquille.»


Josée Legault, dans le Journal de Montréal, re-confirme les appréhensions de M. Huard.


«Ce qui pose problème est la croissance fulgurante d’un marché lucratif privé en santé et services sociaux dont l’effet toxique est de créer au Québec deux classes d’usagers et de patients selon leurs revenus. C’est le contraire absolu de l’héritage qu’on s’était donné dans les années suivant la Révolution tranquille. Un autre problème est la structure ultra-centralisée de la nouvelle agence.»


Il faut freiner ce gouvernement, mais comment !


Nous voilà donc au coeur de cette problématique du narcissisme exacerbé par le «chacun pour soi», qui permet aux gouvernants d’opérer sans opposition citoyenne et pour cause : si l’une des politiques annoncées par l’État ne me concerne pas, je l’ignore - si elle semble trop complexe à régler comme celle des changements climatiques, je fais mon possible, sans plus. Si finalement, ça touche mes intérêts personnels et/ou ceux de mes proches, (ex. conflit de la fonction publique) la réaction est différente, il se pourrait que je m’implique. Dans les faits, nous n’agissons que lorsque cela nous concerne, pour le reste on s’en fout, quitte à en payer le prix politique un jour. Et ce jour est arrivé !


Au cours des dernières années de prospérité économique et de libéralisme politique, le «NOUS» collectif s’est scindé en plusieurs «MOI» individuels qui nous ont poussé à oublier «l’AUTRE» qui, au fil du temps s’est estompé dans le flou des données statistiques jusqu’à l’éclatement d’une crise.


Celle du logement et de l’appauvrissement des locataires en est un exemple probant. Si la pauvreté au Québec a toujours existé, la plupart des moins nantis étaient en mesure de se loger (plus ou moins convenablement, j'en conviens) et ne passaient pas leurs journées à quémander des denrées dans les banques alimentaires et les soupes populaires.


À cela s’ajoute les petits salariés, victimes de l’inflation galopante, côtoyant désormais les cercles d’assisté sociaux dans les restos pop. Pourtant, lorsque la CAQ est arrivée au pouvoir les coffres de l’État débordaient des surplus accumulés pendant le règne d’austérité de Couillard. Même si, selon l’avis de certains chroniqueurs, ce gouvernement a réussi à protéger le pouvoir d’achat de la classe moyenne, comment peut-on imaginer une telle déconfiture dans un pays aussi riche ?


Entre le «blabla» technocratique et la segmentation politique


Hormis les impacts collatéraux que le Covid aurait pu engendrés, admettons simplement que ce segment de la population (peu fortunée, urbanisée) n’est pas bien représenté à l’Assemblée nationale. Pour le gouvernement Caquiste, cette sous-représentation politique se manifeste par un désintérêt total pour le développement du logement social et/ou actions à entreprendre pour protéger les locataires des évictions. De là l’appauvrissement de cette clientèle qui devra toujours payer plus cher pour se reloger de nouveau ou - faute de logement disponible - se retrouver dans la rue.


Voici un bel exemple de clientélisme politique où une partie importante de la population se retrouve dans la section «Autre» des visées stratégiques d’un État qui ne s’intéresse pas vraiment aux réalités des moins bien nantis.


Vers une seconde révolution tranquille ?


Comme le dirait l’illustre inconnu, « On est malheureusement rendu-là ! » À moins d’un revirement majeur des politiques de la CAQ, nous devrons veiller au grain car pour Legault, ses 89 députés et son armée de «Top Gun», les décisions visant à valoriser le privé - comme celles de la dernière année - vont fuser de toutes parts et auront des conséquences pour le futur.


À l’instar des idéologies humanistes des années 70, nous devrons ré-apprendre à nous apprécier les uns les autres pour contester ces privatisations malvenues et militer pour une nouvelle solidarité entre classes sociales.

Les leviers qui sont à notre disposition pour retisser des liens tout en cherchant à créer un contre pouvoir, se retrouvent dans certains médias, les organismes communautaires et partis politiques sensibles à cet éventuel retour du collectif. Point besoin de les nommer, il y en a 2 et vous les connaissez.


Quant aux organismes communautaires - qu’importe la cause à défendre - l’important c’est de s’impliquer. Lors de mon périple Almatois, je militais au sein de l’organisme Alma en transition et nous avions organisé un forum de discussion pour orienter les actions du regroupement, des manifs pour le climat, développé des initiatives locales visant à préserver l’environnement tout en développant les liens amicaux. (*1)


Photo prise en décembre 2018, devant l'Hôtel de ville d'Alma,


Toujours dans cette municipalité qui semblait épargnée des pénuries de logements, voilà qu'en 2024, se tiendra une rencontre d'information pour la création d'un nouveau comité logement.


Partout, sur le territoire québécois, nous devons retrouver cette ferveur perdue pour l’autre. Homo Sapiens est d’abord et avant tout un animal social, retissons des liens plutôt que d’accumuler des biens ;-) (*2)


René B.

Septuagénaire découragé pour ne pas dire révolté !


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 (*1) Pour voir la rétrospective vidéo de l'organisme Alma en transition.


Voici les liens pour télécharger - à partir de mon «cloud» perso la vidéo de 52 minutes, résolution moyenne (MR) pour les ordinateurs et (BR) pour les tablettes et téléphones.


Moyenne résolution MR.mp4 ( Pour ordinateurs. Téléchargement du fichier 1,96 Mo)



Basse résolution BR.mov (Pour téléphones et tablettes. Téléchargement du fichier 967.9Mo)


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(*2) Slogan emprunté à Serge Mongeau, auteur de l'ouvrage La simplicité volontaire.



À lire absolument cet excellent texte de Sylvie Marchand, artiste militante



Voici le PDF



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Liens d'intérêt et revue de presse


Il est temps de démasquer la CAQ


Le fichier PDF




Rapport du FRAPRU / page 9

L’évaluation selon laquelle 173 005 ménages locataires québécois rencontrent des besoins impérieux de logement, en plus d’être influencée par la conjoncture particulière de 2020, est aussi sous-estimée en raison de ces exclusions arbitraires.

https://www.frapru.qc.ca/wpcontent/uploads/2022/12 RapportCriseLogementDroitsHumains.pdf


APCHQ


La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM)


Statistiques de la CORPIC


Josée Legault


Montréalais qui défendent le droit de session.

 
 
 

1 Comment

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Unknown member
Jan 14, 2024

Très bon commentaire,très bonne recherche et tour à fait à propos de ce que nous parlons souvent ensemble.LE Moi moi moi.

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