Ralentir, et si...
- René Bouchard
- 20 mai 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2024
« Je me suis toujours considéré comme un "agent de changement".
C’était d’ailleurs le titre dont je me suis auto-gratifié sur ma toute première
carte d’affaires. À cette époque, la fin des années ‘70, il me semblait que
le meilleur outil, pour générer du changement, c’était les poubelles.»
C’est en effet à ce moment que le concept de "tri à la source" a fait son apparition au Québec sous l’impulsion de Normand Maurice, un enseignant et remarquable tribun originaire de Victoriaville.
Aujourd’hui, la récupération va de soi (généralement). Mais dans ces années, l’idée de trier nos déchets en catégories avant de les mettre au rebuts semblait farfelue ou à tout le moins subversive. On nous accusait de chercher à faire reculer la société.
Un ingénieur du Ministère de l’Environnement et à la direction des services municipaux avait même pris la peine de me prévenir qu’il était impossible de demander aux gens de trier leurs déchets sans les payer pour le faire, et que ces déchets ne vaudrait jamais assez cher pour que ce soit possible. On connaît la suite, mais il aura quand même fallu plus de 20 ans d’efforts de persuasion pour en convaincre les autorités politiques.
En mettant le nez dans nos poubelles (au sens strict comme au figuré), nous avons effectivement pris conscience de l’immense gaspillage engendré par nos habitudes de consommation, mais rien n’a vraiment changé. Au contraire, les gens sont fiers de remplir leurs bacs bleus à toutes les collectes et nous figurons toujours dans le peloton de tête des plus grands producteurs de matières résiduelles au monde. La récupération a elle même été récupérée.
En 2008, avec la crise économique et ses origines, soit la cupidité sans limites et la course aux profits à tout prix, j’ai eu le sentiment que quelque chose avait changé et ça m’a incité à remettre en question mes objectifs et les moyens de les atteindre. Comme je suis essentiellement un autodidacte, j’ai fait comme d’habitude. J’ai fouillé dans des magazines spécialisés, ou non conventionnels, et je me suis remis de plus belle à surveiller les livres qui se publiaient sur les thématiques socio-écologiques, de même que les tendances émergentes.
On y réfléchissait sur des problématiques de crise globale, de fin de cycle et de limites à la croissance. On recommençait à citer le rapport Meadows, le déclin des énergies fossiles, la courbe de Hubbert, et parfois même, on évoquait timidement et du bout des lèvres l’idée anathème de décroissance. C’est ainsi que je suis tombé sur livre "Hot, flat and crowded" de Thomas L. Friedman (pas l’économiste. Lui c’est Milton), le journaliste Américain (maintenant aussi activiste) et triple Pulitzer. Recette parfaite pour ouvrir les horizons.
La dernière partie de ce bouquin très bien documenté, et écrit de main de maître, traitait d’un certain nombre d’initiatives aux potentiels structurants et susceptibles d’induire du changement. Parmi ces idées figurait celle des Villes en Transition crée au Royaume-Uni par Rob Hopkins quelques années plus tôt.
Jusque là, l’action environnementale était essentiellement l’apanage de grandes organisations environnementalistes et on y prônait l’action à grande échelle et les petits gestes individuels. Hopkins ouvrait un tout nouveau champs d’action à une échelle intermédiaire, celle de la communauté, et basé sur l’idée du pouvoir de citoyens qui décident d’unir leurs efforts.
Séduits par cette idée, avec quelques amis déterminés, nous nous sommes relevé les manches et avons mis sur pied Alma en Transition, l’une des première initiative de Transition mise sur pied au Québec. Après quelques années de projets et de manifestations, notre initiative a fait long feu mais elle aura eu le grand mérite de nous permettre de découvrir que nous étions nombreux à croire en ces idées et à espérer ce genre de changement.
Malheureusement, la plupart des personnes engagées se sont progressivement découragées devant la lenteur et l’inertie des décideurs. Aux contraire de ce qu’on dit à propos des jours, les rapports du GIEC se suivent et se ressemblent. Les exhortations se font de plus en plus pressantes et les engagements volontaires des nations restent lettres mortes ou au mieux servent d’écran de fumée à l’inaction. Pas facile de demeurer motivés!
Et puis la pandémie de Covid est venue redonner l’espoir en ceci que enfin, tout le monde réclamaient le changement à l’unisson et il semblait évident que plus rien ne serait pareil. Nouvelle déception, le changement tant réclamé consistait à vouloir en revenir à tout prix à la "normale", à reprendre la vie d’avant. Consommer autant que possible, avant que ce ne soit plus possible.
Mais, il est possible de croire qu’il y a à nouveau une piste de changement prometteuse : l’idée de RALENTIR. Cette idée flotte dans l’air depuis un bon moment. Elle a commencé à porter des noms aux consonances quelque peu misérabiliste et à tout le moins peu engageantes. Ce sont la Simplicité Volontaire, l’Austérité Joyeuse, l’Abondance Frugale, la Sobriété Heureuse et j’en oublie. Toutes ces expressions ont en commun de se fonder sur une quête de sens qui en elle même fait du sens, mais qui sonne un peu morose.
Réaliser une Transition socio-écologique en douceur implique de s’imposer individuellement et collectivement des limites. Accepter des limites suppose de faire des choix et choisir signifie aussi faire des renoncement. D’ailleurs dans l’un de ses derniers rapports, le GIEC affirme que nous avons le choix entre deux voies : la frugalité ou la catastrophe. C’est se "priver" pour les autres et plus tard. Présenter sous cet angle, ce n’est très sexy! À plus forte raison dans une société aussi individualiste que la nôtre.
La littérature "éclairée" nous enseigne qu’il n’y aurait que deux motivations qui inciteraient au changement : parce qu’on a le sentiment de ne pas avoir le choix et/ou parce qu’on a trouvé mieux. De plus en plus de personnes ressentent ce genre de motivations.
Sur le plan écologique, il est clair que c’est la manière dont nous concevons et répondons à nos besoins --- le consumérisme à outrance --- qui est à la source des problème environnementaux qui étranglent peu à peu nos sociétés. Ce qui en résulte maintenant, et qui porte les germes du changement, c’est le fait qu’il y a de plus en plus de gens qui n’arrivent plus à suivre le rythme de cette consommation et ce, à la fois pour des raisons économiques et et pour leur santé.
Avec l’inflation galopante, les trois besoins fondamentaux principaux que sont le logement, l’alimentation et le transport deviennent difficiles d’accès, sinon carrément inaccessibles pour de plus en plus de gens, tandis que la performance attendue au travail est de plus en plus exigeante au point d’en devenir un enjeu de santé publique.
Dépressions, burn-out, prise de psychotropes, de boissons énergisantes ou de drogues, il y a un mal-être manifeste. On se plaint à tout va de ne plus avoir de temps, d’être compressés, de devoir cumuler les emplois ou faire des heures supplémentaires pour boucler les fins de mois. Tout ça pourquoi?
Pour se payer des voitures trop luxueuses, des maisons trop grosses, des voyages toujours plus loin pour s’évader de cette maison de rêve et vivre dans l’insatisfaction continuelle entretenue par l’industrie du consumérisme qui a besoin de nous vendre toutes ces choses pour assurer ses profits et sa croissance. Et si au contraire il était possible de reprendre le contrôle de notre temps, vivre une vie satisfaisante et par le fait même respecter les limites de la planète?
Cette nouvelle tendance s’est fait sentir avec le phénomène de la Grande Démission d’abord aux États- Unis parmi les employés à salaires d’entrée de gamme, puis elle a essaimé en Europe et s’est étendue à des classes d’emplois bien payées et jusqu’au milieux scientifiques. Isabelle maréchal a produit en début d’année un excellent reportage, La grande démission, sur ce thème avec des exemples représentatifs de notre contexte québécois.

Ces gens quittent leurs emplois en raison d’une pression trop grande, d’une perte de sens ou de motivation et choisissent autre chose où ils sont plus en phases avec leurs valeurs ou bien où ils pourront s’épanouir davantage. L’Association pour la Santé Publique du Québec (ASPQ) a d’ailleurs lancé récemment une initiative sur la thématique "Ralentir".
Parmi cette mouvance, on peut aussi citer le livre à succès de Pierre-Yves McSweeen "En as-tu vraiment besoin?" et toute une kyrielle de publication et de reportages pour laquelle on a trouvé un nouveau mot : la "déconsommation". Ici je ne citerai en exemple que le récent livre de Jean-Sébastien Marsan "Se Libérer par la Déconsommation" que j’ai dévoré avec délice.
Donc, à tous les transitionistes ainsi que celles et ceux qui aspirent reprendre le contrôle de leur temps et de leur destinée, Alma en Transition en collaboration avec Accès Condition Vie et le Grand Dialogue Régional pour la Transition organisent une journée de réflexion sur le thème « Ralentir » le dimanche 2 juin à 9h à Alma au Centre Communautaire Édouard Moffatt (quartier Delisle). La formule très souple permettra aux participants d’amorcer ensemble une réflexion personnelle.
Vous trouverez ici davantage d’information Ralentir ? Et si...
Gérald Tremblay geraldtremblay1954@gmail.com
(P.-S.) Pour en savoir davantage sur Alma en transition, une rétrospective vidéo relatant les faits marquants de 2015 à 2022, a été produite.
La décroissance est-elle la solution à la crise environnementale?
Komentarze